Émigration des Ichelhiyen : Origine, caractéristiques et représentations
Pourquoi parler de Berbères ou de Chleuhs plutôt que d’Ichelhiyen? Recourir au terme même d’Ichelhiyen pourrait en effet nous permettre de maîtriser notre façon d’être perçu quand bien même nous n’occupons pas pour le moment une position forte. Comme l’a bien expliqué le sociologue français Pierre Bourdieu dans un article intitulé « L’identité et la représentation » (Actes de la Recherche en Sciences Sociales, n° 35, novembre 1980), seuls ceux qui disposent de l’autorité légitime, c’est-à-dire de l’autorité qu’accorde le pouvoir, peuvent en effet imposer leur propre définition d’eux-mêmes et des autres.
Si le terme d’Ichelhiyen marque l’attachement des Imazighen du sud marocain à leur territoire du « Souss », cet attachement s’est confronté au développement de l’émigration. Leur migration a pu dans l’histoire avoir été provoquée par exemple par des sanctions ayant frappé des individus ayant recherché un enrichissement personnel ou plus généralement par toute autre sanction émanant de verdicts prononcés par la tajmaate d’un village. Mais quoiqu’il en soit, il faut bien reconnaître que les coutumes amazighes n’ont jamais prévu la peine capitale, l’auteur de ce qui est considéré comme un crime étant en effet condamné à quitter son territoire. John Waterbury dans son ouvrage, « Le commandeur des croyants : la monarchie marocaine et son élite » (Paris, 1975) nous a proposé une explication de l’émigration des Ichelhiyen qui tiendrait à l’aridité du territoire.
Mais, le phénomène de l’émigration dans le Souss ne date pas d’aujourd’hui. Déjà au 17ème et au 18ème siècle, les Ichelhiyen ont joué un rôle très important dans le commerce et les transactions dans les grandes villes de l’époque comme Méknes, Fès et Tanger. Pendant et après la colonisation française du Maroc, l’immigration d’Ichelhiyen a pris le chemin de l’Europe, notamment vers la France. C’est une immigration qui se caractérisait par une domination masculine et saisonnière et qui a tendu progressivement à devenir une immigration familiale et définitive. Il est difficile aujourd’hui de déterminer le nombre des émigrés Ichelhiyen dans l’hexagone. Leur communauté démontre une forme de solidarité traditionnelle qui révèle assurément un sentiment d’appartenance commune. Il est vrai que les Ichelhiyen se méfient souvent de l’administration marocaine, le Makhzen, pour diverses raisons. Ils préfèrent travailler dans des secteurs libéraux plutôt que de devenir des fonctionnaires dans des différents services administratifs. Cette autonomie qui leur permet de gérer leurs affaires d’une façon libre explique leur sous représentation dans les organismes étatiques.
L’historien El Bekri les décrit comme étant les plus industrieux, les plus fervents et les plus habiles quand il s’agissait de la richesse. Le sociologue Omar Ouakrim (« La société civile au Maroc », Agadir, 1999), met en évidence les qualités commerciales et financières des Ichelhiyen, un atout qui leur permet de dominer la majorité des chambres de commerce et d’industrie au Maroc. Ils détiendraient par exemple 55% de l’industrie de Casablanca (« La société civile au Maroc : l’émergence de nouveaux acteurs de développement », sous la direction de Maria-Angels Roque, Paris, 2004). Malgré cette domination économique, la bourgeoisie originaire du Souss ne ressent aucune nécessité à défendre la culture amazighe. De son côté, la diaspora que forment les Ichelhiyen accorde peu d’attention à sa représentation alors même que les individus originaires du Souss sont les plus nombreux parmi les résidents marocains à l’étranger (RME). Si ces derniers transfèrent chaque année à peu prêt quatre milliards de dollars, ce qui en fait la première source de devise pour le Maroc, cela est du pour bonne partie aux versements opérés par les Ichelhiyen. Ce manque d’intérêt porté à leur représentation peut nuire à leurs intérêts vitaux et aux intérêts des Imazighen en général. Selon le journaliste marocain Ali L'mrabet, cela expliquerait qu’ils se trouvent à la marge.
Cependant, depuis peu, de plus en plus d’Imazighen du Souss ont pris conscience de leur identité comme le démontre la création d’associations qui participe à l’émergence d’une société civile. Des associations voient également le jour en Europe. Dans l’ensemble, on peut distinguer deux formes d’associations, d’une part des associations de co-développement souvent non déclarées, mais plus nombreuses (les émigrés originaire d’un village ou d’un quartier créent une association pour maintenir les institutions locales et financer le développement des infrastructures) et d’autre part des associations à vocation culturelle comme Izuran, Tamunt et Adif. Ces dernières n’existent plus, alors que d’autres sont très actives sur le terrain comme Tamaynut-France, Asays, Tiwizi 59, Azouag, Azal ou d’autres encore. La constitution de ces associations montre que les Ichelhiyen ont la capacité de créer un lobbying influent. Reste à eux d’être conscients de leur force.
Par Ali Idaîssa
source ; www.tamaynutfrance.org
Pourquoi parler de Berbères ou de Chleuhs plutôt que d’Ichelhiyen? Recourir au terme même d’Ichelhiyen pourrait en effet nous permettre de maîtriser notre façon d’être perçu quand bien même nous n’occupons pas pour le moment une position forte. Comme l’a bien expliqué le sociologue français Pierre Bourdieu dans un article intitulé « L’identité et la représentation » (Actes de la Recherche en Sciences Sociales, n° 35, novembre 1980), seuls ceux qui disposent de l’autorité légitime, c’est-à-dire de l’autorité qu’accorde le pouvoir, peuvent en effet imposer leur propre définition d’eux-mêmes et des autres.
Si le terme d’Ichelhiyen marque l’attachement des Imazighen du sud marocain à leur territoire du « Souss », cet attachement s’est confronté au développement de l’émigration. Leur migration a pu dans l’histoire avoir été provoquée par exemple par des sanctions ayant frappé des individus ayant recherché un enrichissement personnel ou plus généralement par toute autre sanction émanant de verdicts prononcés par la tajmaate d’un village. Mais quoiqu’il en soit, il faut bien reconnaître que les coutumes amazighes n’ont jamais prévu la peine capitale, l’auteur de ce qui est considéré comme un crime étant en effet condamné à quitter son territoire. John Waterbury dans son ouvrage, « Le commandeur des croyants : la monarchie marocaine et son élite » (Paris, 1975) nous a proposé une explication de l’émigration des Ichelhiyen qui tiendrait à l’aridité du territoire.
Mais, le phénomène de l’émigration dans le Souss ne date pas d’aujourd’hui. Déjà au 17ème et au 18ème siècle, les Ichelhiyen ont joué un rôle très important dans le commerce et les transactions dans les grandes villes de l’époque comme Méknes, Fès et Tanger. Pendant et après la colonisation française du Maroc, l’immigration d’Ichelhiyen a pris le chemin de l’Europe, notamment vers la France. C’est une immigration qui se caractérisait par une domination masculine et saisonnière et qui a tendu progressivement à devenir une immigration familiale et définitive. Il est difficile aujourd’hui de déterminer le nombre des émigrés Ichelhiyen dans l’hexagone. Leur communauté démontre une forme de solidarité traditionnelle qui révèle assurément un sentiment d’appartenance commune. Il est vrai que les Ichelhiyen se méfient souvent de l’administration marocaine, le Makhzen, pour diverses raisons. Ils préfèrent travailler dans des secteurs libéraux plutôt que de devenir des fonctionnaires dans des différents services administratifs. Cette autonomie qui leur permet de gérer leurs affaires d’une façon libre explique leur sous représentation dans les organismes étatiques.
L’historien El Bekri les décrit comme étant les plus industrieux, les plus fervents et les plus habiles quand il s’agissait de la richesse. Le sociologue Omar Ouakrim (« La société civile au Maroc », Agadir, 1999), met en évidence les qualités commerciales et financières des Ichelhiyen, un atout qui leur permet de dominer la majorité des chambres de commerce et d’industrie au Maroc. Ils détiendraient par exemple 55% de l’industrie de Casablanca (« La société civile au Maroc : l’émergence de nouveaux acteurs de développement », sous la direction de Maria-Angels Roque, Paris, 2004). Malgré cette domination économique, la bourgeoisie originaire du Souss ne ressent aucune nécessité à défendre la culture amazighe. De son côté, la diaspora que forment les Ichelhiyen accorde peu d’attention à sa représentation alors même que les individus originaires du Souss sont les plus nombreux parmi les résidents marocains à l’étranger (RME). Si ces derniers transfèrent chaque année à peu prêt quatre milliards de dollars, ce qui en fait la première source de devise pour le Maroc, cela est du pour bonne partie aux versements opérés par les Ichelhiyen. Ce manque d’intérêt porté à leur représentation peut nuire à leurs intérêts vitaux et aux intérêts des Imazighen en général. Selon le journaliste marocain Ali L'mrabet, cela expliquerait qu’ils se trouvent à la marge.
Cependant, depuis peu, de plus en plus d’Imazighen du Souss ont pris conscience de leur identité comme le démontre la création d’associations qui participe à l’émergence d’une société civile. Des associations voient également le jour en Europe. Dans l’ensemble, on peut distinguer deux formes d’associations, d’une part des associations de co-développement souvent non déclarées, mais plus nombreuses (les émigrés originaire d’un village ou d’un quartier créent une association pour maintenir les institutions locales et financer le développement des infrastructures) et d’autre part des associations à vocation culturelle comme Izuran, Tamunt et Adif. Ces dernières n’existent plus, alors que d’autres sont très actives sur le terrain comme Tamaynut-France, Asays, Tiwizi 59, Azouag, Azal ou d’autres encore. La constitution de ces associations montre que les Ichelhiyen ont la capacité de créer un lobbying influent. Reste à eux d’être conscients de leur force.
Par Ali Idaîssa
source ; www.tamaynutfrance.org