Re : Conseil de la communauté marocaine à l'étranger
Conseil de la Communauté Marocaine à l’Etranger (CCME) : Conseil
d’une Communauté ou Conseil "d’Experts" ?
Par Abdellatif IMAD, militant associatif, Professeur universitaire, Lille, France,
1. La montagne a accouché d’une souris
Il y a environ 2 ans, le Conseil Consultatif des Droits de l’Homme (CCDH) a émis un avis
consultatif relatif à la mise en place d’un "Comité" qui est chargé d’élaborer des propositions
dans le domaine des "droits et intérêts des Marocains Résidents à l’Etranger (MRE)". Ce
Comité, qui était composé de 20 personnes désignées par le CCDH, était chargé de produire
un "rapport sur l’exercice de la citoyenneté des MRE au Maroc".
Dans l’absolu, les objectifs de ce comité étaient louables et répondaient à une grande attente
des MRE qui ont été victimes d’une absence d’une politique claire et lisible. Le système
politique marocain traitait la question des MRE d’un point de vue sécuritaire visant leur
encadrement en instaurant un climat de peur et de terreur. Les "Amicales", épaulées par les
Consulats, jouaient pleinement ces rôles dans la communauté. D’ailleurs, l’Instance Equité et
Réconciliation (IER), instance mise en place par le CCDH, a bien souligné ce rôle néfaste des
"Amicales", sans aucune suite et en toute impunité. Le temps a été donné aux Amicales de se
transformer pour redorer leurs images !!!
Les gouvernements successifs ont chargé, à chaque fois, un Secrétariat d’Etat de la question
des MRE sans aucune politique globale digne permettant la défense des droits des marocains
ici et là bas. La "Communauté" a été toujours considérée comme une manne financière pour
le budget du pays et les différentes opérations ministérielles ont été axées principalement dans
ce sens.
Le "Comité" a essentiellement privilégié la question de la structure au détriment du contenu
d’une véritable politique relative aux droits des MRE au Maroc et dans leurs pays d’accueil.
Les tractations et les gesticulations ont été centrées plutôt sur une lutte de places recherchant
des "choix savants et équilibrés" répondant à une stratégie du palais de créer une coquille vide
dans un objectif de figuration, à titre "Consultatif". Cette opération politico-médiatique est
loin de répondre aux multiples problèmes des marocains résidents à l’étranger : problèmes
sociaux, culturels, économiques et politiques. La complexité des questions méritait plus qu’un
simple "Conseil". A coup de réunions, d’entretiens, de séminaires, de conférences, …, la
montagne a accouché d’une souris !!
2. Conseil d’une Communauté ou Conseil "d’Experts" ?
La création du « CCME » pose deux questions fondamentales : peut-on parler d’une
communauté marocaine à l’étranger ? un conseil de Communauté ou un Conseil "d’Experts"?
Pour répondre à ces questions clés, il est nécessaire de procéder à un bref rappel historique
politique et associatif des marocains résidents à l’étranger qui est lié à l’histoire de
l’immigration en Europe et ailleurs, avec toutes ses particularités.
Durant les années dites "de plomb" (époque de Hassan II), une poignée d’associations
militantes participait aux différentes luttes des droits des immigrés dans leurs pays d’accueil :
droits de séjour, de logement, de travail, de vote, droits à la formation, à l’expression
culturelle, etc. Ce tissu associatif faisait de la lutte contre les violations des droits de l’Homme
au Maroc un champ de bataille sans merci, face à l’arrogance du régime marocain clairement
exprimée par ses consulats et leurs relais (les amicales). Ce qui a provoqué des déchirures
dans la "Communauté Marocaine" et l’instauration d’un climat de peur et de méfiance.
A ce stade, il est temps de saluer le courage des militants associatifs engagés par conviction
politique oeuvrant pour un Maroc de liberté et de démocratie.
Par honnêteté intellectuelle, il convient de faire un véritable bilan de cette période car pour
"savoir où on va il faut savoir d’où on vient". Cet état de lieu est nécessaire pour mieux
aborder la participation des MRE à un véritable projet collectif animé par l’intérêt général audelà
des intérêts particuliers et individuels de promotions personnelles. C’est une nécessité
incontournable pour prétendre constituer/reconstituer une "Communauté Marocaine".
Alors, il n’est pas honnête de parler de "Conseil d’une Communauté" car ceci serait trop
prétentieux et en décalage avec la réalité de l’immigration marocaine.
Pour ma part, je crois qu’il s’agit plutôt d’un "Conseil d’Experts" auprès du palais qui se
justifie amplement par le mode de désignation (dahir royal) d’une part et du niveau social de
ses membres, d’autre part.
La représentativité, qui est une question délicate, est posée par la constitution de ce "Conseil"
et ceci à différents niveaux. Car, il est peut être nécessaire de rappeler que l’immigration
marocaine a connu trois vagues importantes et différentes les unes des autres : l’immigration
de main d’oeuvre dans les années soixante, l’immigration estudiantine dans les années
soixante-dix, et la dernière vague des "Harraga" durant cette dernière décennie. Ce "Conseil"
n’a de légitimité que de ceux qui l’ont désigné. Il ne peut en aucun cas être la représentation
de tous les MRE puisqu’il n’y a jamais eu de processus démocratique et concerté pour sa
désignation.
C’est pour toutes ces raisons que ce conseil, comme d’autres (même des fois des Hauts
Conseils) déjà mis en place sur d’autres questions, constitue une vitrine s’inscrivant dans le
décor voulu par le palais, en parallèle à un gouvernement paralysé et incapable d’élaborer un
projet de société pour l’avenir du peuple marocain dans lequel doit s’inscrire une place des
MRE à part entière et non entièrement à part, ici et là bas.
Que le palais et/ou ses rouages désirent mettre en place un "Conseil d’experts" est un choix
qui peut être compréhensible. Que le palais impose un "Conseil de la Communauté Marocaine
à l’Etranger", qui se veut une représentation des MRE, cela constitue un déni à la démocratie,
auquel les marocains sont déjà habitués. D’ailleurs, la forte abstention des marocains aux
dernières élections législatives est une preuve de leur rejet total aux jeux politiciens poursuivis
depuis plusieurs décennies au Maroc.
3. Double appartenance pour une véritable Citoyenneté
Les MRE, comme les populations immigrées d’autres nationalités, doivent faire face à de
multiples problèmes ici et là bas. Tout d’abord, dans les pays d’accueil, les montées des
nationalismes contribuent, de plus en plus, à les mettre dans une situation singulière où le
politique utilise leur présence comme étant responsable de tous les maux de la société. Et dans
les pays d’origine, leurs droits sont souvent inexistants par l’absence d’un projet de société
intégrant la place des MRE dans le champ politique au Maroc. Ce constat révèle que cette
double appartenance, qui au lieu d’être vécue comme une richesse, les met souvent face à
deux politiques les ignorant sur différents plans. Cette double appartenance à deux sociétés :
celle de tous les jours et celle de toujours, devrait constituer un apport considérable ici et là
bas. On assiste, de part et d’autre, à des politiques de stigmatisation de l’image de l’immigré
faisant de lui un citoyen entre guillemets.
Le combat noble serait d’exiger une véritable citoyenneté pour les immigrés ici et là bas. Une
citoyenneté basée sur des droits sociaux et politiques loin de toute forme de folklorisation qui
réduit la place de l’immigré dans la cité de sa résidence (permanente ou temporaire). Les
3
immigrés marocains, avec d’autres franges de la société d’accueil, doivent participer à la
construction d’espaces de citoyenneté dans lesquels leurs droits réels doivent être entièrement
reconnus. Dans le pays d’accueil, ils doivent être au centre d’un combat pour une véritable
citoyenneté où chaque marocain retrouve enfin son statut de citoyen à part entière.
C’est sur ces bases saines que les MRE doivent trouver leur contribution positive et active à la
construction d’une société juste et égalitaire, au côté de toutes les forces vives du pays.
C’est pour moi une nécessité incontournable et une conviction profonde. Je suis convaincu
qu’un Autre Maroc est possible où les MRE peuvent prendre leur part entière à son édifice.
Source : PAD-MAROC