Berberollywood
Avec l'apparition du VCD, une mini-industrie du film berbХre voit le jour dans les caves des quartiers casablancais.
A quelques encablures de la perception d'El Fida, une maison s'anime d'un va-et-vient incessant. Quelques ordinateurs dernier cri trainent sur une table et deux hommes à l'allure juvenile bricolent un micro. Nous sommes ici dans une boite de production specialisée dans le film berbere. Dans ce studio, on monte à la chaine des films qui seront distribués quelque fois jusqu'aux trefonds du Souss, mais plus generalement à Paris et Bruxelles. Pour moins de 15 000 dirhams l'on produit des longs metrages tirés en moyenne à 10 000 exemplaires et gravés sous format VCD.
Des scenarios rudimentaires
Une bonne partie est ecoulée chez des semi-grossistes à Derb Ghallef et tout cela en parfaite legalité. Les producteurs demandent, comme cela est prevu par la loi, une autorisation de tournage au CCM et livrent leur produit final à l'institution pour obtenir un visa d'exploitation. Tournés dans le sud du Maroc, ces films aux scenarios generalement rudimentaires rencontrent un succes sans precedent et consacrent definitivement le renouveau identitaire d'une culture berbere marginalisée dans notre pays. La production de films berberes n'est pas une nouveauté dans notre pays, des societés plutot specialisées dans la musique consacraient une part marginale de leur activité au cinema. Le changement et l'explosion de ce genre relevent avant tout de l'évolution technologique et de sa vulgarisation. Une cassette VHS vierge qui coutait au bas mot jusqu'à 10 dirhams peut difficilement rivaliser avec un CD dont le prix de gros ne depasse pas les 3 dirhams. Resultat : cout de production de l'oeuvre cinematographique compris, le prix de revient du VCD prЙt Ю la commercialisation ne depasse pas les 5 dirhams. Autre facteur nodal dans cette explosion, la diminution des couts de montage. Le logiciel dernier cri pour fabriquer un film Final Cut est disponible sur le marché informel pour moins de cinquante dirhams (le prix de la licence est de 70 000 dirhams). Il a en plus l'avantage de faciliter le montage en qualité et en celerité. De plus, les monteurs, ces ouvriers du cinema, qui etaient une denrée rare jusqu'au debut des années 90, sont formés actuellement à la chaine par une foultitude d'instituts de communication.
Disponibles et payés au lance-pierre, ils assurent cette etape fondamentale du processus. Autres clients de ces boites de production, les raiss, ces chanteurs en goguette du Souss qui arrondissent leurs fins de mois en produisant leur propre spectacle. Sur la base du meme principe, ils ecoulent, pour les plus celebres d'entre eux, des milliers de VCD au prix moyen de 20 dirhams. Des spectacles que s'arrachent les immigrés berberes dans les capitales occidentales. Ces memes raiss, on les retrouve aussi dans ces films cocotte-minute en guest stars souvent pour une chanson susurrée au detour d'un chemin ombragé.
Les tournages sont en effet en exterieurs, une maniere de reduire considerablement les couts, et les scenarios peuvent etre classés en trois catИgories distinctes. Les comedies rurales qui consacrent la confrontation du maniere citadin en visite dans le douar face à la malice et l'esprit de debrouillardise du gars du cru. Les histoires d'amour sous fond de vengeance qui se terminent rarement sous de bons auspices. Des tranches de vie dans lesquelles le surnaturel a une part preponderante. Des djinns qui habitent une source et causent bien des desagrements à la paisible vie du village ; heureusement, le fqih, armé de sa foi et de son art, desarme les esprits malfaisants. Quelques films plus engages traitent de la felonie du caid houspillé par une population longtemps silencieuse qui decide de faire entendre sa voix. Mais ils sont bien rares. Pour un des producteurs, la raison de cette mievrerie semantique est simple, le spectateur du film (heureux proprietaires d'un lecteur DVD ou d'un ordinateur, ce qui le place dans une categorie plutot aisée) ne s'interesse pratiquement pas au scenario, ce qui l'amuse c'est d'entendre sa langue, de visualiser les contes et legendes de son enfance meme dans les films dramatiques, la reaction courante du spectateur, c'est de s'esclaffer . En somme, le spectateur consacre l'agregation de la modernité sur une culture ignorée et qui retrouve un nouveau souffle par la seule volonté des Berberes. Une culture dont la diffusion mediatique est confinée à un tele-journal quotidien et à quelques films et pieces de theБtre (produits essentiellement par 2M), une culture brimée qui trouve sa place dans cet informel kitsh, bien pensant, mais qui ne tardera pas à se liberer de ses contingences commerciales. C'est notre underground en devenir, un espace propice Ю une certaine culture de la dissidence.
Younes Alami
lejournalhebdo.
Avec l'apparition du VCD, une mini-industrie du film berbХre voit le jour dans les caves des quartiers casablancais.
A quelques encablures de la perception d'El Fida, une maison s'anime d'un va-et-vient incessant. Quelques ordinateurs dernier cri trainent sur une table et deux hommes à l'allure juvenile bricolent un micro. Nous sommes ici dans une boite de production specialisée dans le film berbere. Dans ce studio, on monte à la chaine des films qui seront distribués quelque fois jusqu'aux trefonds du Souss, mais plus generalement à Paris et Bruxelles. Pour moins de 15 000 dirhams l'on produit des longs metrages tirés en moyenne à 10 000 exemplaires et gravés sous format VCD.
Des scenarios rudimentaires
Une bonne partie est ecoulée chez des semi-grossistes à Derb Ghallef et tout cela en parfaite legalité. Les producteurs demandent, comme cela est prevu par la loi, une autorisation de tournage au CCM et livrent leur produit final à l'institution pour obtenir un visa d'exploitation. Tournés dans le sud du Maroc, ces films aux scenarios generalement rudimentaires rencontrent un succes sans precedent et consacrent definitivement le renouveau identitaire d'une culture berbere marginalisée dans notre pays. La production de films berberes n'est pas une nouveauté dans notre pays, des societés plutot specialisées dans la musique consacraient une part marginale de leur activité au cinema. Le changement et l'explosion de ce genre relevent avant tout de l'évolution technologique et de sa vulgarisation. Une cassette VHS vierge qui coutait au bas mot jusqu'à 10 dirhams peut difficilement rivaliser avec un CD dont le prix de gros ne depasse pas les 3 dirhams. Resultat : cout de production de l'oeuvre cinematographique compris, le prix de revient du VCD prЙt Ю la commercialisation ne depasse pas les 5 dirhams. Autre facteur nodal dans cette explosion, la diminution des couts de montage. Le logiciel dernier cri pour fabriquer un film Final Cut est disponible sur le marché informel pour moins de cinquante dirhams (le prix de la licence est de 70 000 dirhams). Il a en plus l'avantage de faciliter le montage en qualité et en celerité. De plus, les monteurs, ces ouvriers du cinema, qui etaient une denrée rare jusqu'au debut des années 90, sont formés actuellement à la chaine par une foultitude d'instituts de communication.
Disponibles et payés au lance-pierre, ils assurent cette etape fondamentale du processus. Autres clients de ces boites de production, les raiss, ces chanteurs en goguette du Souss qui arrondissent leurs fins de mois en produisant leur propre spectacle. Sur la base du meme principe, ils ecoulent, pour les plus celebres d'entre eux, des milliers de VCD au prix moyen de 20 dirhams. Des spectacles que s'arrachent les immigrés berberes dans les capitales occidentales. Ces memes raiss, on les retrouve aussi dans ces films cocotte-minute en guest stars souvent pour une chanson susurrée au detour d'un chemin ombragé.
Les tournages sont en effet en exterieurs, une maniere de reduire considerablement les couts, et les scenarios peuvent etre classés en trois catИgories distinctes. Les comedies rurales qui consacrent la confrontation du maniere citadin en visite dans le douar face à la malice et l'esprit de debrouillardise du gars du cru. Les histoires d'amour sous fond de vengeance qui se terminent rarement sous de bons auspices. Des tranches de vie dans lesquelles le surnaturel a une part preponderante. Des djinns qui habitent une source et causent bien des desagrements à la paisible vie du village ; heureusement, le fqih, armé de sa foi et de son art, desarme les esprits malfaisants. Quelques films plus engages traitent de la felonie du caid houspillé par une population longtemps silencieuse qui decide de faire entendre sa voix. Mais ils sont bien rares. Pour un des producteurs, la raison de cette mievrerie semantique est simple, le spectateur du film (heureux proprietaires d'un lecteur DVD ou d'un ordinateur, ce qui le place dans une categorie plutot aisée) ne s'interesse pratiquement pas au scenario, ce qui l'amuse c'est d'entendre sa langue, de visualiser les contes et legendes de son enfance meme dans les films dramatiques, la reaction courante du spectateur, c'est de s'esclaffer . En somme, le spectateur consacre l'agregation de la modernité sur une culture ignorée et qui retrouve un nouveau souffle par la seule volonté des Berberes. Une culture dont la diffusion mediatique est confinée à un tele-journal quotidien et à quelques films et pieces de theБtre (produits essentiellement par 2M), une culture brimée qui trouve sa place dans cet informel kitsh, bien pensant, mais qui ne tardera pas à se liberer de ses contingences commerciales. C'est notre underground en devenir, un espace propice Ю une certaine culture de la dissidence.
Younes Alami
lejournalhebdo.