Amazighité : réalité et défis
En ce mois d’octobre, le Maroc célèbre le 4e anniversaire du discours royal d’Ajdir, qui constitue pour les militants amazighs l’aboutissement de nombreuses années de lutte pour la reconnaissance et la promotion de la langue et de la culture amazighes, composantes essentielles de l’identité marocaine. Ce discours constitue un tournant décisif : c’est une décision de droit qui réhabilite la langue et la culture amazighes. C’est ainsi que l’Ircam (l’institut royal de culture amazighe) a vu le jour. Il a pour principal objectif de promouvoir la langue et la culture amazighes. Quatre ans se sont écoulés après cet événement majeur et il conviendrait de procéder à un bilan pour souligner les réalisations, relever les contraintes, et surtout pour rappeler l’attitude à adopter, les principes à respecter et les défis à relever.
En ce qui concerne la cause amazighe, on peut dire que grâce à l’initiative royale, bien des tabous ont été brisés : on note un changement positif dans le discours politique y compris celui des partis qui jusqu’à une époque très récente s’opposaient aux revendications du mouvement amazigh en prêchant l’unité dans l’unicité. De plus, l’enseignement du tamazight – bien que ce soit dans des conditions précaires – et la conception des manuels que cela nécessite, ont largement contribué à changer les représentations de ceux qui ne voyaient dans cette langue qu’une somme de dialectes qui ne peuvent être ni lus ni écrits. Outre cela, les Marocains, chez qui une sorte de réconciliation avec leur culture s’est opérée sont de plus en plus nombreux à assumer leur amazighité et à soutenir les revendications du mouvement amazigh. Et encouragées par l’initiative royale, de nombreuses associations sont venues renforcer le tissu associatif existant déjà donnant naissance à une nouvelle dynamique. Ainsi, à côté des publications et des créations artistiques, bien des rencontres ont été organisées pour valoriser et promouvoir cette culture.
Certes, les réalisations sont bien en deçà des attentes et des espoirs suscités par le discours royal : à maintes reprises, aussi bien les membres de l’institut que les militants des différentes associations ont exprimé leur insatisfaction, leur frustration, leur déception, leur colère voire leur révolte.
Certains sont allés même jusqu’à jeter l’éponge refusant d’être les pions d’un jeu dont ils ignorent les règles. C’est le cas des démissionnaires de l’Ircam. Il est vrai que les résultats tardent à venir et les explications avancées sont diverses. Tantôt, c’est la volonté du gouvernement qui fait défaut ; une autre fois, ce sont les responsables de l’affaire amazighe qu’il faut incriminer. Il y a encore le politique qui essaie de récupérer cette affaire pour l’instrumentaliser une fois de plus et en faire son cheval de bataille ou pour semer la discorde entre les différentes parties impliquées et saper l’entreprise à la base.
Reconstruire une identité complètement travestie et mutilée en reconnaissant l’immense apport de la culture amazighe dans son édification, réhabiliter une langue tombée en désuétude, la standardiser et l’enseigner supposent un travail de longue haleine et exigent des efforts continus, de la persévérance, voire de l’acharnement. On ne peut pas bâtir en quelques années, ce qui a été démoli à travers de nombreux siècles. L’important, c’est de partir sur de bonnes bases, ne pas succomber au désespoir.
Il est vrai que tous les jours, nos revendications bien que légitimes font face à diverses réticences allant des plus subtiles aux réactions d’hostilité les plus flagrantes. Ne baissons pas les bras. Notre amazighité est comme ce malade longtemps alité qui commence à se rétablir. Il est toujours faible et incapable de résister aux aléas de la vie sans faire de rechute. Son cœur bat de façon très incertaine pour diffuser le sang de la vie dans les veines rétrécies de son corps.
C’est à notre peuple de prendre conscience de la fragilité et de la précarité de son état C’est à lui de l’alimenter et de la soigner pour qu’elle reprenne ses forces. C’est à lui de se prendre en charge pour grandir. Mais avant tout, il doit se définir et écrire sa propre histoire. Notre tradition est une tradition orale et chaque fois qu’un de nos anciens meurt, c’est une partie de notre histoire qui est ensevelie avec lui. Ainsi, notre amnésie s’amplifie et « la décoloration culturelle » se poursuit. Et ce n’est pas un hasard si des parties que tout oppose se disputent notre paternité : nous sommes à la fois revendiqués par l’orient et par l’occident.
Il faudrait comprendre que ce n’est pas pour nous honorer, nous rendre nos lettres de noblesse ou nous hisser au rang que chacun prétend occuper mais pour mieux nous exploiter, nous aliéner, nous absorber prétextant la réconciliation avec la nature première dont chacun veut bien nous gratifier. Ils n’admettent pas que nous pouvions être nous-mêmes, c’est-à-dire un peuple qui a toujours existé et qui sans aucun doute a reçu d’autres affluents pour forger ensemble l’identité marocaine. Est-il nécessaire de rappeler que le continent africain – le vieux continent – constitue le berceau des plus vieilles civilisations du monde ? C’est pourquoi, nous ne devons permettre à personne de nous définir ou de définir notre pays. Tant que nous ne prendrons pas la plume pour écrire, nous n’existerons pas historiquement. L’histoire à mon sens, ce sont les événements tels que les voit ou les raconte un groupe particulier, généralement le plus fort, celui qui possède les plumes les plus robustes et l’encre la plus tenace. Et comme dit un proverbe africain « tant que le lion n’aura pas appris à écrire, les histoires de la chasse seront toujours à la gloire du chasseur. »
Certains brandissent encore le spectre de la division quand on revendique nos droits, exploitant ainsi l’ignorance des uns et la crédulité des autres.
Il est temps de dissiper certaines zones d’ombre qui persistent chez une partie de la société qui continue à redouter la division. On ne le répétera jamais assez : ce clivage est absurde car le peuple marocain qui a forgé son unité par le combat contre le partage colonial se doit de la préserver en luttant contre toutes les formes d’exclusion et d’injustice. Diviser pour mieux régner, voilà leur stratégie.
Pour les militants amazighs éclairés, l’unité est synonyme de victoire. Ils ont toujours rejeté l’unicité pour réclamer l’unité dans la diversité qui fait la richesse de l’identité marocaine. Ne soyons pas tentés de nous dresser les uns contre les autres. Notre fureur, il faudrait la déchaîner contre le manipulateur, l’imposteur et non contre notre frère. Nos ennemis sont l’analphabétisme, l’ignorance, la corruption, l’obscurantisme et l’extrémisme. Refusons une fois pour toute d’être cet objet sur lequel on agit : on le façonne, on l’arabise, on l’avilie, on l’exploite, on l’achète, on le vend, on l’aide ou on le sabote au gré des aspirations politiques, ou d’une quelconque pression idéologique interne ou externe.
Nous devons avoir une vision claire des choses, cette vision qui donne le courage de rire du regard furieux et austère d’un destin implacable. À nous de choisir notre voie, d’influencer au lieu de subir le cours de la destinée et d’écrire le texte d’un nouveau chapitre de l’histoire de notre pays en fabriquant des discours lucides et responsables, en rétablissant la vérité, en défiant l’injustice, en dénonçant l’opportunisme et en luttant contre l’extrémisme. Ce qui caractérise notre peuple, c’est sa résistance, sa faculté innée à vivre, à grandir et à aimer envers et contre tout.
Nous devons, avec notre cœur et notre esprit, jeter des ponts au-dessus des marécages des magouilles politiques, de l’injustice sociale, de l’opportunisme aveugle afin d’être tous unis dans la construction d’un pays capable de relever les défis de la démocratisation et du développement humain.
Il faudrait savoir que la conviction et l’émerveillement font pousser des ailes même quand le poids est lourd à porter. Et les actes importent plus que de vaines paroles.
Aïcha Aït Berri
Novembre 2005
En ce mois d’octobre, le Maroc célèbre le 4e anniversaire du discours royal d’Ajdir, qui constitue pour les militants amazighs l’aboutissement de nombreuses années de lutte pour la reconnaissance et la promotion de la langue et de la culture amazighes, composantes essentielles de l’identité marocaine. Ce discours constitue un tournant décisif : c’est une décision de droit qui réhabilite la langue et la culture amazighes. C’est ainsi que l’Ircam (l’institut royal de culture amazighe) a vu le jour. Il a pour principal objectif de promouvoir la langue et la culture amazighes. Quatre ans se sont écoulés après cet événement majeur et il conviendrait de procéder à un bilan pour souligner les réalisations, relever les contraintes, et surtout pour rappeler l’attitude à adopter, les principes à respecter et les défis à relever.
En ce qui concerne la cause amazighe, on peut dire que grâce à l’initiative royale, bien des tabous ont été brisés : on note un changement positif dans le discours politique y compris celui des partis qui jusqu’à une époque très récente s’opposaient aux revendications du mouvement amazigh en prêchant l’unité dans l’unicité. De plus, l’enseignement du tamazight – bien que ce soit dans des conditions précaires – et la conception des manuels que cela nécessite, ont largement contribué à changer les représentations de ceux qui ne voyaient dans cette langue qu’une somme de dialectes qui ne peuvent être ni lus ni écrits. Outre cela, les Marocains, chez qui une sorte de réconciliation avec leur culture s’est opérée sont de plus en plus nombreux à assumer leur amazighité et à soutenir les revendications du mouvement amazigh. Et encouragées par l’initiative royale, de nombreuses associations sont venues renforcer le tissu associatif existant déjà donnant naissance à une nouvelle dynamique. Ainsi, à côté des publications et des créations artistiques, bien des rencontres ont été organisées pour valoriser et promouvoir cette culture.
Certes, les réalisations sont bien en deçà des attentes et des espoirs suscités par le discours royal : à maintes reprises, aussi bien les membres de l’institut que les militants des différentes associations ont exprimé leur insatisfaction, leur frustration, leur déception, leur colère voire leur révolte.
Certains sont allés même jusqu’à jeter l’éponge refusant d’être les pions d’un jeu dont ils ignorent les règles. C’est le cas des démissionnaires de l’Ircam. Il est vrai que les résultats tardent à venir et les explications avancées sont diverses. Tantôt, c’est la volonté du gouvernement qui fait défaut ; une autre fois, ce sont les responsables de l’affaire amazighe qu’il faut incriminer. Il y a encore le politique qui essaie de récupérer cette affaire pour l’instrumentaliser une fois de plus et en faire son cheval de bataille ou pour semer la discorde entre les différentes parties impliquées et saper l’entreprise à la base.
Reconstruire une identité complètement travestie et mutilée en reconnaissant l’immense apport de la culture amazighe dans son édification, réhabiliter une langue tombée en désuétude, la standardiser et l’enseigner supposent un travail de longue haleine et exigent des efforts continus, de la persévérance, voire de l’acharnement. On ne peut pas bâtir en quelques années, ce qui a été démoli à travers de nombreux siècles. L’important, c’est de partir sur de bonnes bases, ne pas succomber au désespoir.
Il est vrai que tous les jours, nos revendications bien que légitimes font face à diverses réticences allant des plus subtiles aux réactions d’hostilité les plus flagrantes. Ne baissons pas les bras. Notre amazighité est comme ce malade longtemps alité qui commence à se rétablir. Il est toujours faible et incapable de résister aux aléas de la vie sans faire de rechute. Son cœur bat de façon très incertaine pour diffuser le sang de la vie dans les veines rétrécies de son corps.
C’est à notre peuple de prendre conscience de la fragilité et de la précarité de son état C’est à lui de l’alimenter et de la soigner pour qu’elle reprenne ses forces. C’est à lui de se prendre en charge pour grandir. Mais avant tout, il doit se définir et écrire sa propre histoire. Notre tradition est une tradition orale et chaque fois qu’un de nos anciens meurt, c’est une partie de notre histoire qui est ensevelie avec lui. Ainsi, notre amnésie s’amplifie et « la décoloration culturelle » se poursuit. Et ce n’est pas un hasard si des parties que tout oppose se disputent notre paternité : nous sommes à la fois revendiqués par l’orient et par l’occident.
Il faudrait comprendre que ce n’est pas pour nous honorer, nous rendre nos lettres de noblesse ou nous hisser au rang que chacun prétend occuper mais pour mieux nous exploiter, nous aliéner, nous absorber prétextant la réconciliation avec la nature première dont chacun veut bien nous gratifier. Ils n’admettent pas que nous pouvions être nous-mêmes, c’est-à-dire un peuple qui a toujours existé et qui sans aucun doute a reçu d’autres affluents pour forger ensemble l’identité marocaine. Est-il nécessaire de rappeler que le continent africain – le vieux continent – constitue le berceau des plus vieilles civilisations du monde ? C’est pourquoi, nous ne devons permettre à personne de nous définir ou de définir notre pays. Tant que nous ne prendrons pas la plume pour écrire, nous n’existerons pas historiquement. L’histoire à mon sens, ce sont les événements tels que les voit ou les raconte un groupe particulier, généralement le plus fort, celui qui possède les plumes les plus robustes et l’encre la plus tenace. Et comme dit un proverbe africain « tant que le lion n’aura pas appris à écrire, les histoires de la chasse seront toujours à la gloire du chasseur. »
Certains brandissent encore le spectre de la division quand on revendique nos droits, exploitant ainsi l’ignorance des uns et la crédulité des autres.
Il est temps de dissiper certaines zones d’ombre qui persistent chez une partie de la société qui continue à redouter la division. On ne le répétera jamais assez : ce clivage est absurde car le peuple marocain qui a forgé son unité par le combat contre le partage colonial se doit de la préserver en luttant contre toutes les formes d’exclusion et d’injustice. Diviser pour mieux régner, voilà leur stratégie.
Pour les militants amazighs éclairés, l’unité est synonyme de victoire. Ils ont toujours rejeté l’unicité pour réclamer l’unité dans la diversité qui fait la richesse de l’identité marocaine. Ne soyons pas tentés de nous dresser les uns contre les autres. Notre fureur, il faudrait la déchaîner contre le manipulateur, l’imposteur et non contre notre frère. Nos ennemis sont l’analphabétisme, l’ignorance, la corruption, l’obscurantisme et l’extrémisme. Refusons une fois pour toute d’être cet objet sur lequel on agit : on le façonne, on l’arabise, on l’avilie, on l’exploite, on l’achète, on le vend, on l’aide ou on le sabote au gré des aspirations politiques, ou d’une quelconque pression idéologique interne ou externe.
Nous devons avoir une vision claire des choses, cette vision qui donne le courage de rire du regard furieux et austère d’un destin implacable. À nous de choisir notre voie, d’influencer au lieu de subir le cours de la destinée et d’écrire le texte d’un nouveau chapitre de l’histoire de notre pays en fabriquant des discours lucides et responsables, en rétablissant la vérité, en défiant l’injustice, en dénonçant l’opportunisme et en luttant contre l’extrémisme. Ce qui caractérise notre peuple, c’est sa résistance, sa faculté innée à vivre, à grandir et à aimer envers et contre tout.
Nous devons, avec notre cœur et notre esprit, jeter des ponts au-dessus des marécages des magouilles politiques, de l’injustice sociale, de l’opportunisme aveugle afin d’être tous unis dans la construction d’un pays capable de relever les défis de la démocratisation et du développement humain.
Il faudrait savoir que la conviction et l’émerveillement font pousser des ailes même quand le poids est lourd à porter. Et les actes importent plus que de vaines paroles.
Aïcha Aït Berri
Novembre 2005