Entretien avec Ali Khadaoui
Ali Khadaoui est militant du Mouvement culturel amazigh à Tamazgha occidentale. Il fait partie de celles et ceux qui avaient applaudi la création de l’Ircam en 2002. En juin 2002 il fut nommé membre du Conseil d’administration de l’Ircam qu’il quitte, avec six autres membres de cette "institution" royale, en en février 2005.
Dans cet entretien, Ali Khadaoui évoque l’actualité du mouvement amazigh à Tamazgha occidentale ainsi que la situation de la question amazighe de manière générale. Bien sûr, il explique les raisons de sa démission de l’Ircam et il revient sur la place réservée à Tamazight dans les médias ainsi que sur nombres d’autres sujets.
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Ali Khadaoui
Où en est la question amazighe au Maroc ?
Tout d’abord, la question amazighe au Maroc peut se résumer ainsi : bien qu’Imazighen (les Berbères) soient les habitants autochtones du pays, bien qu’ils soient numériquement largement majoritaires, bien que les fondements anthropologiques de leur identité constituent le substrat social et civilisationnel du pays, ils sont politiquement minorisés et victimes d’une politique d’exclusion menée par un Etat-nation de type jacobin, centralisé et dont la constitution a été affirmée en seuls termes d’arabo-islamité. De ce fait, l’amazighité (langue, culture et civilisation) se retrouve depuis l’"indépendance", pour la première fois de son histoire, exclue des institutions de l’Etat, dans le but d’arabiser la société et de réaliser le rêve des nationalistes arabo-islamistes : édifier un monde arabe qui s’étend du Golfe à l’Océan Atlantique.
En réaction à cette exclusion, le mouvement amazigh, depuis des décennies, milite pour le recouvrement des droits historiques, politiques, linguistiques et culturels amazighs tels qu’affirmés par les Nations Unies.
Depuis quelques années, la question amazighe au Maroc connaît des développements profonds et rapides, et personne ne peut prédire quelle direction prendront les événements si le pouvoir continue à gérer ce dossier avec la même approche sécuritaire doublée de l’anathème et du mépris à l’égard des sentiments amazighs. Aujourd’hui, la politique de l’Etat à l’égard de l’amazighité se caractérise par un double discours : en même temps qu’on déclare que l’amazighité s’intègre dans les institutions officielles, dans la pratique toutes les actions du pouvoir montrent clairement que son objectif demeure l’arabisation totale des populations amazighes.
Devant cette supercherie qui ne trompe plus personne, l’on peut d’ores et déjà remarquer que l’amazighité se pose de plus en plus en termes politiques que culturels.
Où en est le mouvement amazigh dans ses appels au pouvoir marocain concernant l’enseignement de tamazight ?
L’enseignement de tamazight (la langue berbère) au Maroc est présenté par le pouvoir comme l’une de ses décisions majeures en faveur de l’amazighité. Cependant, la réalité de cet enseignement dément de manière catégorique les allégations du pouvoir quant à sa réelle volonté politique de promouvoir la langue amazighe en l’intégrant dans toutes les institutions de l’Etat.
En effet, les observateurs et les professionnels sont d’accord ici pour dire que ce que l’on appelle "enseignement de tamazight" et non "enseignement de la langue amazighe" est une véritable mascarade, une insulte de plus à la dignité et à l’intelligence des Imazighen. Comment peut-on parler d’un enseignement de tamazight avec les données suivantes :
- l’absence de statut de la langue amazighe rend son enseignement facultatif et dérisoire, car les didacticiens savent qu’on ne peut construire des curricula valables pour une langue qu’à partir d’un statut officiel déterminé, fixé par le pouvoir politique. Or, le statut juridique de la langue amazighe jusqu’à maintenant est celui d’une "non-langue".
- De plus, le non respect du statut social des langues en présence au Maroc fausse déjà les données d’un enseignement général fructueux : la langue arabe classique, seule langue officielle, est présentée comme langue mère des marocains alors que personne ne la parle en dehors des domaines religieux et littéraire. En revanche, la langue amazighe, langue mère, langue de communication de millions de marocains (beaucoup ne connaissent qu’elle) n’est toujours pas reconnue comme langue. Le Dahir instituant l’IRCAM ne parle que de "l’amazighité", et non de "langue amazighe". L’absence de statut officiel de la langue amazighe constitue donc un vide juridique qu’exploitent aisément les adversaires et ennemis de l’amazighité, omniprésents dans le système éducatif marocain mis en place par les nationalistes arabo-islamistes aux lendemains de leur "indépendance".
- Une formation au rabais de quelques jours, dispensée par des personnes non qualifiées à des personnes qui, souvent, ne connaissent même pas la langue qu’elles sont appelées à enseigner. En plus, c’est une formation laissée au bon vouloir des autorités régionales comme le stipule la Charte nationale de d’éducation et de la formation. En 2005, seules cinq académies sur quatorze avaient organisé des stages de quelques jours pour les instituteurs et les inspecteurs.
- L’absence de manuels et de programmes où sont définis objectifs pédagogiques, contenus d’enseignement, méthodologie, critères d’évaluation, etc.
- L’absence de circulaires et notes précisant les modalités d’application de ces programmes, comme cela se fait pour toutes les matières enseignées, etc.
- L’absence d’une enveloppe horaire précise comme pour toutes les autres matières, ce qui met les exécutants dans l’embarras car ils ne savent toujours pas où mettre cette "langue".
- La troisième année a tout simplement été une année blanche - La quatrième année ayant connu le même destin que la troisième -, ce qui remet en question la généralisation de l’enseignement de la langue amazighe prévue pour 2008 par la convention qui lie le Ministère de l’Education nationale à l’IRCAM.
Ali Khadaoui est militant du Mouvement culturel amazigh à Tamazgha occidentale. Il fait partie de celles et ceux qui avaient applaudi la création de l’Ircam en 2002. En juin 2002 il fut nommé membre du Conseil d’administration de l’Ircam qu’il quitte, avec six autres membres de cette "institution" royale, en en février 2005.
Dans cet entretien, Ali Khadaoui évoque l’actualité du mouvement amazigh à Tamazgha occidentale ainsi que la situation de la question amazighe de manière générale. Bien sûr, il explique les raisons de sa démission de l’Ircam et il revient sur la place réservée à Tamazight dans les médias ainsi que sur nombres d’autres sujets.
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Ali Khadaoui
Où en est la question amazighe au Maroc ?
Tout d’abord, la question amazighe au Maroc peut se résumer ainsi : bien qu’Imazighen (les Berbères) soient les habitants autochtones du pays, bien qu’ils soient numériquement largement majoritaires, bien que les fondements anthropologiques de leur identité constituent le substrat social et civilisationnel du pays, ils sont politiquement minorisés et victimes d’une politique d’exclusion menée par un Etat-nation de type jacobin, centralisé et dont la constitution a été affirmée en seuls termes d’arabo-islamité. De ce fait, l’amazighité (langue, culture et civilisation) se retrouve depuis l’"indépendance", pour la première fois de son histoire, exclue des institutions de l’Etat, dans le but d’arabiser la société et de réaliser le rêve des nationalistes arabo-islamistes : édifier un monde arabe qui s’étend du Golfe à l’Océan Atlantique.
En réaction à cette exclusion, le mouvement amazigh, depuis des décennies, milite pour le recouvrement des droits historiques, politiques, linguistiques et culturels amazighs tels qu’affirmés par les Nations Unies.
Depuis quelques années, la question amazighe au Maroc connaît des développements profonds et rapides, et personne ne peut prédire quelle direction prendront les événements si le pouvoir continue à gérer ce dossier avec la même approche sécuritaire doublée de l’anathème et du mépris à l’égard des sentiments amazighs. Aujourd’hui, la politique de l’Etat à l’égard de l’amazighité se caractérise par un double discours : en même temps qu’on déclare que l’amazighité s’intègre dans les institutions officielles, dans la pratique toutes les actions du pouvoir montrent clairement que son objectif demeure l’arabisation totale des populations amazighes.
Devant cette supercherie qui ne trompe plus personne, l’on peut d’ores et déjà remarquer que l’amazighité se pose de plus en plus en termes politiques que culturels.
Où en est le mouvement amazigh dans ses appels au pouvoir marocain concernant l’enseignement de tamazight ?
L’enseignement de tamazight (la langue berbère) au Maroc est présenté par le pouvoir comme l’une de ses décisions majeures en faveur de l’amazighité. Cependant, la réalité de cet enseignement dément de manière catégorique les allégations du pouvoir quant à sa réelle volonté politique de promouvoir la langue amazighe en l’intégrant dans toutes les institutions de l’Etat.
En effet, les observateurs et les professionnels sont d’accord ici pour dire que ce que l’on appelle "enseignement de tamazight" et non "enseignement de la langue amazighe" est une véritable mascarade, une insulte de plus à la dignité et à l’intelligence des Imazighen. Comment peut-on parler d’un enseignement de tamazight avec les données suivantes :
- l’absence de statut de la langue amazighe rend son enseignement facultatif et dérisoire, car les didacticiens savent qu’on ne peut construire des curricula valables pour une langue qu’à partir d’un statut officiel déterminé, fixé par le pouvoir politique. Or, le statut juridique de la langue amazighe jusqu’à maintenant est celui d’une "non-langue".
- De plus, le non respect du statut social des langues en présence au Maroc fausse déjà les données d’un enseignement général fructueux : la langue arabe classique, seule langue officielle, est présentée comme langue mère des marocains alors que personne ne la parle en dehors des domaines religieux et littéraire. En revanche, la langue amazighe, langue mère, langue de communication de millions de marocains (beaucoup ne connaissent qu’elle) n’est toujours pas reconnue comme langue. Le Dahir instituant l’IRCAM ne parle que de "l’amazighité", et non de "langue amazighe". L’absence de statut officiel de la langue amazighe constitue donc un vide juridique qu’exploitent aisément les adversaires et ennemis de l’amazighité, omniprésents dans le système éducatif marocain mis en place par les nationalistes arabo-islamistes aux lendemains de leur "indépendance".
- Une formation au rabais de quelques jours, dispensée par des personnes non qualifiées à des personnes qui, souvent, ne connaissent même pas la langue qu’elles sont appelées à enseigner. En plus, c’est une formation laissée au bon vouloir des autorités régionales comme le stipule la Charte nationale de d’éducation et de la formation. En 2005, seules cinq académies sur quatorze avaient organisé des stages de quelques jours pour les instituteurs et les inspecteurs.
- L’absence de manuels et de programmes où sont définis objectifs pédagogiques, contenus d’enseignement, méthodologie, critères d’évaluation, etc.
- L’absence de circulaires et notes précisant les modalités d’application de ces programmes, comme cela se fait pour toutes les matières enseignées, etc.
- L’absence d’une enveloppe horaire précise comme pour toutes les autres matières, ce qui met les exécutants dans l’embarras car ils ne savent toujours pas où mettre cette "langue".
- La troisième année a tout simplement été une année blanche - La quatrième année ayant connu le même destin que la troisième -, ce qui remet en question la généralisation de l’enseignement de la langue amazighe prévue pour 2008 par la convention qui lie le Ministère de l’Education nationale à l’IRCAM.