Entretien avec Aïcha Bouhjar linguiste : «L'injection massive de néologismes risque de perturber le décodage du message»
Aïcha Bouhjar, linguiste, chercheur au Centre de l'aménagement linguistique à l'IRCAM brosse le bilan des études concernant les lexiques amazighes. Entretien.
Quel bilan pouvez-vous dresser des études lexicologiques amazighes au niveau national ?
Avant de répondre à votre question, il me semble qu'une mise au point d'ordre terminologique s'impose. Lorsque l'on s'intéresse au lexique (c'est-à-dire à l'ensemble des unités significatives ou des lexies ou plus communément encore des «mots» d'une langue), on distingue la lexicographie, qui a pour objet la confection de dictionnaires, de la lexicologie, branche de la linguistique qui étudie les propriétés des unités lexicales de la langue.
Ces disciplines sont complémentaires : la lexicographie fournit la matière (le corpus) à la lexicologie et la lexicologie alimente la réflexion théorique sur les problèmes posés par l'élaboration des dictionnaires. En ce qui concerne maintenant le bilan des études lexicologiques amazighes, celles-ci accusent en général, de l'avis des chercheurs amazighisants nationaux et étrangers, un retard assez important comparativement aux productions lexicographiques et aux recherches qui portent sur la phonie, la morphologie et la syntaxe.
On peut toutefois relever des études ponctuelles sur la question entreprises par les linguistes amazighisants de renommée internationale; de même que l'on peut mentionner l' «Essai de lexicologie amazighe» de Seghoual (tome I de la thèse d'Etat soutenue en 2002, non publiée). Reste que l'analyse scientifique du lexique est à peine amorcée.
Par contre, un saut qualitatif énorme a été accompli ces dernières années au Maroc en matière de productions lexicographiques avec les dictionnaires de Taïfi (1991) et de Chafik (1993-2000) ainsi que les travaux académiques de Oussikoum (1995, dictionnaire non publié) de Azdoud (1997, lexique non publié) et de Seghoual (2002, dictionnaire non publié). Le dictionnaire de Chafik se veut représentatif de la langue amazighe dans toute sa diversité (sans indication topolectale) alors que les travaux de Taïfi, de Oussikoum et de Azdoud couvrent le lexique du Maroc Central et le dictionnaire de Seghoual celui du Nord.
Un ouvrage de la même envergure devrait paraître d'ici peu pour le Sud (communication personnelle de Boumalk A.). On dispose bien évidemment de quelques manuscrits, lexiques ou glossaires produits avant, pendant et après la période coloniale .
Ces travaux ne doivent pas être négligés : ils constituent, après dépouillement, une source d'information qu'il y a lieu d'exploiter dans la perspective d'une étude comparative inter-dialectale sur le plan lexical. De même que devraient être prises en considérations les études académiques des amazighisants marocains dans la mesure où les thèses et mémoires, s'ils ne traitent pas directement du lexique, comportent souvent en appendice un corpus représentatif des usages de la langue amazighe au Maroc.
Je renvoie le lecteur intéressé aux diverses synthèses, revues de la littérature ou bibliographies critiques sur la question parues notamment dans Boukous (1989, article paru dans Langue et société au Maghreb : Bilan et Perspectives - Publications de la Faculté des Lettres de Rabat), Bounfour (1991 : «La lexicographie berbère» dans l'Encyclopédie internationale de lexicographie ), Chaker (1992 : Une décennie d'études berbères, 1980-1990 : bibliographie critique, Alger : Bouchène), Bougchiche (1997 : Langues et littératures berbères des origines à nos jours - Bibliographie internationale, Ibis Press).
Quels types de dictionnaires sont produits à ce jour au Maroc et à l'étranger ?
Il faut tout d'abord préciser qu'il n'existe pas une façon unique de décrire les unités lexicales (ou mots) de la langue : les dictionnaires produits dans le monde diffèrent tant par la présentation formelle que par la nature de l'information prodiguée et ce en fonction du type de public et d'utilisation visé. Ainsi, la «mise en forme» de l'article du dictionnaire peut être constituée d'une numérotation, d'une suite de symboles (puces,…) ou des deux à la fois qui sont autant d'indices de lecture; alors que la qualité de l'information peut aller de la simple traduction du mot (dans le cas d'un dictionnaire bilingue) ou de l'équivalent synonymique (dans le cas d'un dictionnaire monolingue) à un contenu plus étoffé (prononciation, étymologie, datation, indication topolectale, définition analytique, exemple d'emploi, synonyme, antonyme, …) La typologie des dictionnaires de langue amazighe permet de nuancer le tableau relativement grossier que nous venons de brosser de la production lexicographique amazighe.
En fait, une certaine tradition lexicographique existe depuis la publication en 1844 de Grammaire et Dictionnaire abrégés de la langue berbère de Venture de Paradis (dialectes tachelhite et kabyle). On peut citer, par exemple, les publications suivantes qui portent généralement sur un dialecte particulier : Creusat, 1873 (kabyle); Olivier, 1878 (kabyle); Cid Kaoui, 1894 et 1900 (tamahaq); Biarnay, 1917 (tarifit); Renisio, 1932 (tarifit); Jordan, 1934 ; Destaing, 1938 (tachelhite); Ibañez E., 1944 et 1954 (tarifit); Le Père de Foucauld, 1952 (touareg); Alojaly, 1980 (touareg); Dallet, 1982 et 1985 (kabyle); Delheure, 1984 et 1987 (mozabite); Cortade, 1985 (touareg); Stroomer, depuis 1998 (tachelhite); Naït-Zerrad K., 1998, 2000 et 2002 (racines amazighes); Bounfour & Boumalk, 2001 (tachelhite), El Mountassir, 2003 (verbes en tachelhite); Prasse, Alojaly et Ghabdouane, 2003 (touareg).
Des lexiques sous forme de manuscrits (non publiés dont une copie est conservée à l'Université de Leyden aux Pays-Bas) datant du Moyen Age sont relevés par Boogert (1998). Le corpus présenté est issu de lexiques arabo-amazighes de Ibn Tumart (1145) et d'Al Hilali (1665). Ces écrits, destinés à un public de savants traditionnels bilingues (notaires, jurisconsultes, droguistes, médecins) ayant pour langue première l'amazighe, offrent une classification des entrées lexicales par champ sémantique (Boumalk, à paraître dans le Bulletin d'information de l'Ircam invmisn n usinag).
A. Bounfour (1991) répartit la production lexicographique selon l'objectif visé : il distingue ainsi une lexicographie utilitaire (1820-1918), une autre dialectale (1918-1950) et, enfin une lexicographie scientifique, post-coloniale. Le classement proposé rejoint à peu de chose près celui de Seghoual (2002) qui distingue:
- de 1844 à 1900 : les dictionnaires à sens unilatéral français-amazighe produits essentiellement par des amateurs (militaires, missionnaires) et destinés à un public non amazighophone ;
- de 1900 à 1951 : les dictionnaires à double sens où à une publication dans un sens succède une publication en sens inverse ;
- de 1951 à ce jour : les dictionnaires majoritairement unidirectionnels de sens amazighe-français et destinés surtout aux chercheurs amazighisants. Cette dernière période est également marquée par la parution de lexiques spécialisés (mathématiques, médecine, informatique, pédagogie) dans le sens français-amazighe durant les deux dernières décennies mettant ainsi en exergue la capacité de la langue amazighe à s'adapter aux changements socioculturels de la vie moderne.
A notre connaissance, le seul dictionnaire qui a le mérite de décrire en amazighe la lexie est celui de Haddachi (2000) (parler des Ayt Merghad du Haut-Atlas oriental). Il faut cependant préciser que cet ouvrage qui se veut "monolingue" donne, à la fin de chaque article, la correspondance en français de l'entrée lexicale et que la transcription à base latine ne respecte pas le protocole en usage parmi les amazighisants.
En définitive, de cette pratique marquée par la publication régulière de dictionnaires, on constate que :
- la production post-coloniale est caractérisée par une contribution notoire des chercheurs d'origine amazighe;
- les dictionnaires sont majoritairement multilingues (généralement bilingues);
- il s'agit de productions lexicographiques différentielles (dictionnaires dialectaux);
- la nomenclature (i.e. les entrées du dictionnaire) s'est progressivement enrichie au fil des années (quantitativement par le nombre d'entrées traitées et qualitativement par l'information prodiguée);
- la structuration du lexique est établie à partir de la classification par racines qui exige une connaissance explicite de la langue ou par lexies selon le public visé (amazighisant ou non). Malgré les acquis dans ce domaine, nous ne disposons toujours pas d'un dictionnaire général de langue amazighe (monolingue).
Ce fait est somme toute tout à fait compréhensible lorsque l'on sait que l'étude du lexique amazighe «en lui-même et pour lui-même» n'en est qu'à ses débuts. Certaines régions n'ont pas encore fait l'objet d'étude approfondie (Figuig par exemple); certaines catégories grammaticales n'ont été que partiellement étudiées; tout un travail sur le métalangage doit être amorcé. Je m'arrête ici car la liste est longue mais ce n'est qu'à ce prix qu'un véritable travail de synthèse en bonne et due forme pourra être entrepris et que des dictionnaires de tout type verront le jour : dictionnaire monolingue, dictionnaires étymologique, des citations, des synonymes,… Le Centre de l'Aménagement Linguistique (CAL) de l'IRCAM a récemment inauguré, par le biais de recherches contractuelles, ce type de travaux afin qu'un maximum de chercheurs participent, chacun selon sa spécialité, à l'élaboration de ce projet de grande ampleur.
Quels domaines couvrent les lexiques amazighes existant aujourd'hui ?
L'exhaustivité sur le plan lexical est un idéal : d'abord parce que personne ne peut prétendre connaître parfaitement tous les mots d'une langue; ensuite le choix des entrées qui feront partie de la nomenclature d'un dictionnaire est tributaire des critères de sélection du lexicographe; enfin, le lexique, plus que les autres dimensions de la langue (morphologie et syntaxe), est sensible aux changements socioculturels : des mots nouveaux apparaissent, d'autres tombent dans l'oubli, deviennent désuets et pour finir disparaissent.
Dans ces conditions, il est difficile de dresser une liste de tous les mots qui devraient figurer dans un dictionnaire. On peut néanmoins affirmer qu'il est des «domaines» que la lexicographie amazighe a partiellement couverts : les dictionnaires dont nous disposons à ce jour sont représentatifs de la langue en usage dans les régions qui ont fait l'objet d'investigation.
Ainsi, les lexicographes ont non seulement procédé au dépouillement de glossaires, lexiques, corpus de textes littéraires existants mais ont complété et la nomenclature et l'information prodiguée à partir d'une enquête lexicologique (enquête de terrain). On peut donc estimer que la langue courante, telle qu'elle est utilisée au quotidien dans les dialectes ou parlers décrits, est représentée dans les dictionnaires. Cependant, tous les autres secteurs d'activités et en particulier ceux relatifs à la vie moderne n'ont fait l'objet que de quelques publications.
On peut citer les lexiques spécialisés suivants : Amawal (lexique) (1980) qui ouvre la voie à la création néologique et qui est devenu l'ouvrage incontournable pour qui s'intéresse à la néologie en langue amazighe, Lexique de Mathématiques (1984), Vocabulaire de l'éducation de Belaid (1993), Lexique de l'informatique de Saad-Buzefran (1996), Lexique scolaire de Larab (1997, Tilmatin et al. (1998 : ces derniers intègrent dans le lexique de la tarifite nombre de néologismes issus de l'Amawal et de Belaid). Ces lexiques spécialisés se présentent sous forme de listes bi- voire plurilingues où l'on fait correspondre le terme amazighe à sa traduction dans une (ou plusieurs) langues.
Quelle importance accordez-vous aux enquêtes lexicologiques de terrain?
Les enquêtes lexicologiques de terrain sont primordiales. Tous les mots en usage devraient être recensés et tous les sens relevés. Elles permettent de mettre à jour les particularités qui résultent d'un besoin de nommer des entités qui n'existent pas de façon naturelle dans une région : la langue est à ce titre le reflet du milieu dans lequel l'individu évolue (faune, flore, activités spécifiques, géographie). Les enquêtes de terrain permettent d'aboutir à une description pré-dictionnairique de l'ensemble des mots de la langue; de même que ce type de recherche doit permettre de mettre en évidence les formes prisées par les locuteurs, d'établir la liste des mots qui devraient apparaître dans un dictionnaire général de l'amazighe, de justifier les marques d'usage qui leur seraient assignées dans un tel ouvrage.
Une description globale de la langue doit prendre en considération le stock lexical en usage; en d'autres termes, faire le relevé de «l'existant» afin de constituer des bases de données exploitables à différents niveaux d'analyse.
Comment procède-t-on pour gérer la variation lexicale ?
La variation est, pour reprendre l'expression du sociolinguiste Labov (1978) «inhérente» à la langue : sur le plan lexical, elle peut être géographique (pays, région,), sociale (niveau d'instruction, milieu social où évolue l'individu), liée à la situation d'utilisation (domaine formel/informel), au mode de communication (oral/écrit) ou à la génération (parents/enfants). Cet aspect de la langue ne peut donc être ignoré ; il faut, au contraire, le prendre en considération et l'intégrer dans le processus de l'aménagement linguistique. Cette gestion de la variation fera partie de la compétence sociolinguistique du locuteur qui maîtrisera plusieurs registres de langue.
Concrètement, nommer, par exemple, différemment une même entité par le biais de la synonymie fera partie de la maîtrise de la langue. Ainsi, on entend de plus en plus les amazighophones utiliser tour à tour les trois variantes régionales afin de dire «bon»(icnan, ighudan, ifulkin) à l'occasion de la nouvelle année par exemple et ce, généralement, en fonction de l'interlocuteur.
On peut également employer dans une situation de contact linguistique un terme moins marqué et partagé par toute la communauté linguistique amazighophone comme c'est le cas pour le mot ixf «tête». Les particularismes régionaux, qui se déclinent en autant de synonymes qu'il y a de parlers, peuvent être réservés à des situations de communications particulières ; par exemple une situation orale informelle ou pour créer un effet de style. D'autres procédés peuvent être exploités pour intégrer la variation dans le processus de standardisation telle l'affectation d'une nuance de sens à des termes concurrents (redistribution du sens).
Peut-on parler d'un lexique amazighe standard ?
Il est encore trop tôt pour parler d'un «lexique amazighe standard» (j'ajouterais «marocain» car opérationnellement parlant, on ne peut l'envisager qu'à un niveau national) : il faut des générations pour cela. Le fait d'avoir doter la langue amazighe d'un système graphique qui neutralise à l'écrit les variations phonétiques régionales est déjà en soi un premier pas, et non des moindres, vers la standardisation. De même que nous pouvons qualifier tous les mots nouvellement créés de "lexique standard" puisqu'ils constituent un stock lexical que tous les amazighophones ont ou auront en partage.
Un amazighe de «référence» tel qu'il sera décrit dans les dictionnaires à venir émergera. Mais à ce jour, ce standard n'existe pas encore : il est en construction. En revanche, un fonds lexical commun existe; il concerne les unités lexicales pour nommer les phénomènes climatiques, les parties du corps, certaines activités vitales (manger, dormir, …). Nous pouvons désormais même y ajouter, comme nous venons de le dire, certains néologismes consacrés par l'usage tels que azul [azul] «salut», tanmmirt [tanmmirt] «merci», tifawin [tifawin] «bonjour», tinmlt [tinmlt] «école» qui sont actualisés dans le manuel scolaire tifawin a tamazight [tifawin a tamazight] et qu'il nous a été donné d'entendre un peu partout au Maroc.
Comment appréciez-vous les besoins lexicaux de l'amazighe en matière d'adaptation de cette langue aux mutations socioculturelles ?
Les besoins sont énormes : l'extension des domaines d'emploi de la langue amazighe (enseignement, médias, presse) s'est du même coup accompagnée d'une augmentation des besoins énonciatifs. L'Unité d'Etude et de Recherche sur le lexique du CAL doit quotidiennement faire face à des demandes qui émanent aussi bien d'institutions publiques que privées.
Toutes les disciplines scientifiques, tous les secteurs d'activités sont concernés : administration, médias, santé, commerce. Les besoins terminologiques vont du mot «table» au mot «neurolinguistique» en passant par «équité», «perspective», «logistique», «anthropologie», … Ces mots ont fait l'objet d'une étude au sein de l'équipe et des propositions ont été faites. La langue amazighe, comme toutes les langues, est dotée d'un système qui lui permet d'étendre son lexique à toutes les sphères d'activités.
Seulement les besoins sont pressants, voire urgents et innombrables. Il faut donc hiérarchiser les besoins et répondre en fonction des priorités. A l'heure actuelle, l'attention est portée sur le lexique de l'éducation dans la mesure où la langue amazighe a, depuis septembre 2003, fait son entrée dans le système éducatif national. Il faut donc doter les enseignants d'outils leur permettant de mener à bien leur mission pédagogique. Prochainement une liste des termes qui ont été étudiés au sein du CAL devrait sortir sur le marché.
Peut-on réduire l'enrichissement de l'amazighe en opération technique ?
Si tel était le cas, le travail lié à l'enrichissement du lexique serait aisé. En fait, les choses ne sont pas aussi simples qu'il y paraît. Tout d'abord il faut garder à l'esprit (permettez-moi d'insister sur ce point) que la production de nouveaux termes (ou néologie) est le dernier recours : c'est-à-dire après s'être assuré qu'il y a réellement une vacance terminologique; de plus, avant de passer à la génération de mots nouveaux, on peut réactualiser un terme désuet ou affecter un sens particulier à un mot en usage (élargissement sémantique).
L'expansion lexicale, lorsqu'elle s'impose donc, fait partie de l'aménagement linguistique puisqu'il s'agit d'une intervention consciente et délibérée sur la langue. Le système linguistique amazighe met à la disposition du locuteur les procédés de dérivation et de composition afin d'enrichir le lexique. La dérivation constitue en amazighe le moyen le plus productif car il permet la création de néologismes conformes à la logique de la langue et de surcroît facilement décryptables.
Il n'en reste pas moins que la bonne formation d'une lexie n'est pas un gage de succès. Il existe quantités de mots consacrés par l'usage bien que ceux-ci ne respectent pas les règles de construction. L'implantation des néologismes doit se faire graduellement (étalée sur le temps) et modérément surtout : l'injection massive de néologismes risque de perturber le décodage du message transmis. Enfin, il faudrait également veiller à ne pas créer un «néo-amazighe» morphologiquement correct mais déconnecté de l'usage qui parfois est à l'emprunt comme les mots atrifu «téléphone» ou taçallit «prière» qui sont parfaitement intégrés dans la langue.
Quel impact pourrait avoir la production artistique et littéraire sur l'évolution de la langue amazighe ?
La production artistique et littéraire joue un rôle de premier plan dans l'implantation et la validation des produits réalisés par les aménageurs de la langue. Les auteurs, producteurs, interprètes cautionnent (ou rejettent) les choix opérés lorsqu'ils s'approprient (ou non) les mots qu'on met à leur disposition pour s'exprimer. Leur contribution en tant que vecteur de diffusion est indéniable : ils garantissent la pérennité de la langue.
Votre dernier mot.
L'aménagement de la langue amazighe bénéficie de l'apport des chercheurs nationaux et étrangers ainsi que de l'expérience d'autres langues dans le monde. Ces acquis nous permettent de considérer l'avenir avec confiance. En matière de lexicographie et de terminologie, la collaboration de chercheurs et de spécialistes dans tous les domaines est incontournable. Le dictionnaire de langue est le dépositaire de la culture qu'il décrit dans toutes ses dimensions. Lorsque l'on désire s'approprier une langue, l'achat d'un dictionnaire s'impose.
Celui-ci nous accompagne des années durant, parfois même toute la vie. Le plus souvent, on s'y réfère pour préciser le sens d'un mot ou pour vérifier son orthographe.
Cet un outil indispensable qui procure un certain sentiment de sécurité (ici linguistique) car on ne doute habituellement pas de la fiabilité d'un tel ouvrage.
La confection d'un dictionnaire est une tâche non seulement ardue mais qui demande beaucoup de patience. Généralement il est le fruit d'un travail individuel. J'aimerais ici rendre hommage à tous les lexicographes, qu'ils soient d'ici ou d'ailleurs.
Propos recueillis par M. Moukhlis | LE MATIN
[ Edité par idir le 12/2/2005 13:45 ]
[ Edité par idir le 12/2/2005 13:46 ]
Aïcha Bouhjar, linguiste, chercheur au Centre de l'aménagement linguistique à l'IRCAM brosse le bilan des études concernant les lexiques amazighes. Entretien.
Quel bilan pouvez-vous dresser des études lexicologiques amazighes au niveau national ?
Avant de répondre à votre question, il me semble qu'une mise au point d'ordre terminologique s'impose. Lorsque l'on s'intéresse au lexique (c'est-à-dire à l'ensemble des unités significatives ou des lexies ou plus communément encore des «mots» d'une langue), on distingue la lexicographie, qui a pour objet la confection de dictionnaires, de la lexicologie, branche de la linguistique qui étudie les propriétés des unités lexicales de la langue.
Ces disciplines sont complémentaires : la lexicographie fournit la matière (le corpus) à la lexicologie et la lexicologie alimente la réflexion théorique sur les problèmes posés par l'élaboration des dictionnaires. En ce qui concerne maintenant le bilan des études lexicologiques amazighes, celles-ci accusent en général, de l'avis des chercheurs amazighisants nationaux et étrangers, un retard assez important comparativement aux productions lexicographiques et aux recherches qui portent sur la phonie, la morphologie et la syntaxe.
On peut toutefois relever des études ponctuelles sur la question entreprises par les linguistes amazighisants de renommée internationale; de même que l'on peut mentionner l' «Essai de lexicologie amazighe» de Seghoual (tome I de la thèse d'Etat soutenue en 2002, non publiée). Reste que l'analyse scientifique du lexique est à peine amorcée.
Par contre, un saut qualitatif énorme a été accompli ces dernières années au Maroc en matière de productions lexicographiques avec les dictionnaires de Taïfi (1991) et de Chafik (1993-2000) ainsi que les travaux académiques de Oussikoum (1995, dictionnaire non publié) de Azdoud (1997, lexique non publié) et de Seghoual (2002, dictionnaire non publié). Le dictionnaire de Chafik se veut représentatif de la langue amazighe dans toute sa diversité (sans indication topolectale) alors que les travaux de Taïfi, de Oussikoum et de Azdoud couvrent le lexique du Maroc Central et le dictionnaire de Seghoual celui du Nord.
Un ouvrage de la même envergure devrait paraître d'ici peu pour le Sud (communication personnelle de Boumalk A.). On dispose bien évidemment de quelques manuscrits, lexiques ou glossaires produits avant, pendant et après la période coloniale .
Ces travaux ne doivent pas être négligés : ils constituent, après dépouillement, une source d'information qu'il y a lieu d'exploiter dans la perspective d'une étude comparative inter-dialectale sur le plan lexical. De même que devraient être prises en considérations les études académiques des amazighisants marocains dans la mesure où les thèses et mémoires, s'ils ne traitent pas directement du lexique, comportent souvent en appendice un corpus représentatif des usages de la langue amazighe au Maroc.
Je renvoie le lecteur intéressé aux diverses synthèses, revues de la littérature ou bibliographies critiques sur la question parues notamment dans Boukous (1989, article paru dans Langue et société au Maghreb : Bilan et Perspectives - Publications de la Faculté des Lettres de Rabat), Bounfour (1991 : «La lexicographie berbère» dans l'Encyclopédie internationale de lexicographie ), Chaker (1992 : Une décennie d'études berbères, 1980-1990 : bibliographie critique, Alger : Bouchène), Bougchiche (1997 : Langues et littératures berbères des origines à nos jours - Bibliographie internationale, Ibis Press).
Quels types de dictionnaires sont produits à ce jour au Maroc et à l'étranger ?
Il faut tout d'abord préciser qu'il n'existe pas une façon unique de décrire les unités lexicales (ou mots) de la langue : les dictionnaires produits dans le monde diffèrent tant par la présentation formelle que par la nature de l'information prodiguée et ce en fonction du type de public et d'utilisation visé. Ainsi, la «mise en forme» de l'article du dictionnaire peut être constituée d'une numérotation, d'une suite de symboles (puces,…) ou des deux à la fois qui sont autant d'indices de lecture; alors que la qualité de l'information peut aller de la simple traduction du mot (dans le cas d'un dictionnaire bilingue) ou de l'équivalent synonymique (dans le cas d'un dictionnaire monolingue) à un contenu plus étoffé (prononciation, étymologie, datation, indication topolectale, définition analytique, exemple d'emploi, synonyme, antonyme, …) La typologie des dictionnaires de langue amazighe permet de nuancer le tableau relativement grossier que nous venons de brosser de la production lexicographique amazighe.
En fait, une certaine tradition lexicographique existe depuis la publication en 1844 de Grammaire et Dictionnaire abrégés de la langue berbère de Venture de Paradis (dialectes tachelhite et kabyle). On peut citer, par exemple, les publications suivantes qui portent généralement sur un dialecte particulier : Creusat, 1873 (kabyle); Olivier, 1878 (kabyle); Cid Kaoui, 1894 et 1900 (tamahaq); Biarnay, 1917 (tarifit); Renisio, 1932 (tarifit); Jordan, 1934 ; Destaing, 1938 (tachelhite); Ibañez E., 1944 et 1954 (tarifit); Le Père de Foucauld, 1952 (touareg); Alojaly, 1980 (touareg); Dallet, 1982 et 1985 (kabyle); Delheure, 1984 et 1987 (mozabite); Cortade, 1985 (touareg); Stroomer, depuis 1998 (tachelhite); Naït-Zerrad K., 1998, 2000 et 2002 (racines amazighes); Bounfour & Boumalk, 2001 (tachelhite), El Mountassir, 2003 (verbes en tachelhite); Prasse, Alojaly et Ghabdouane, 2003 (touareg).
Des lexiques sous forme de manuscrits (non publiés dont une copie est conservée à l'Université de Leyden aux Pays-Bas) datant du Moyen Age sont relevés par Boogert (1998). Le corpus présenté est issu de lexiques arabo-amazighes de Ibn Tumart (1145) et d'Al Hilali (1665). Ces écrits, destinés à un public de savants traditionnels bilingues (notaires, jurisconsultes, droguistes, médecins) ayant pour langue première l'amazighe, offrent une classification des entrées lexicales par champ sémantique (Boumalk, à paraître dans le Bulletin d'information de l'Ircam invmisn n usinag).
A. Bounfour (1991) répartit la production lexicographique selon l'objectif visé : il distingue ainsi une lexicographie utilitaire (1820-1918), une autre dialectale (1918-1950) et, enfin une lexicographie scientifique, post-coloniale. Le classement proposé rejoint à peu de chose près celui de Seghoual (2002) qui distingue:
- de 1844 à 1900 : les dictionnaires à sens unilatéral français-amazighe produits essentiellement par des amateurs (militaires, missionnaires) et destinés à un public non amazighophone ;
- de 1900 à 1951 : les dictionnaires à double sens où à une publication dans un sens succède une publication en sens inverse ;
- de 1951 à ce jour : les dictionnaires majoritairement unidirectionnels de sens amazighe-français et destinés surtout aux chercheurs amazighisants. Cette dernière période est également marquée par la parution de lexiques spécialisés (mathématiques, médecine, informatique, pédagogie) dans le sens français-amazighe durant les deux dernières décennies mettant ainsi en exergue la capacité de la langue amazighe à s'adapter aux changements socioculturels de la vie moderne.
A notre connaissance, le seul dictionnaire qui a le mérite de décrire en amazighe la lexie est celui de Haddachi (2000) (parler des Ayt Merghad du Haut-Atlas oriental). Il faut cependant préciser que cet ouvrage qui se veut "monolingue" donne, à la fin de chaque article, la correspondance en français de l'entrée lexicale et que la transcription à base latine ne respecte pas le protocole en usage parmi les amazighisants.
En définitive, de cette pratique marquée par la publication régulière de dictionnaires, on constate que :
- la production post-coloniale est caractérisée par une contribution notoire des chercheurs d'origine amazighe;
- les dictionnaires sont majoritairement multilingues (généralement bilingues);
- il s'agit de productions lexicographiques différentielles (dictionnaires dialectaux);
- la nomenclature (i.e. les entrées du dictionnaire) s'est progressivement enrichie au fil des années (quantitativement par le nombre d'entrées traitées et qualitativement par l'information prodiguée);
- la structuration du lexique est établie à partir de la classification par racines qui exige une connaissance explicite de la langue ou par lexies selon le public visé (amazighisant ou non). Malgré les acquis dans ce domaine, nous ne disposons toujours pas d'un dictionnaire général de langue amazighe (monolingue).
Ce fait est somme toute tout à fait compréhensible lorsque l'on sait que l'étude du lexique amazighe «en lui-même et pour lui-même» n'en est qu'à ses débuts. Certaines régions n'ont pas encore fait l'objet d'étude approfondie (Figuig par exemple); certaines catégories grammaticales n'ont été que partiellement étudiées; tout un travail sur le métalangage doit être amorcé. Je m'arrête ici car la liste est longue mais ce n'est qu'à ce prix qu'un véritable travail de synthèse en bonne et due forme pourra être entrepris et que des dictionnaires de tout type verront le jour : dictionnaire monolingue, dictionnaires étymologique, des citations, des synonymes,… Le Centre de l'Aménagement Linguistique (CAL) de l'IRCAM a récemment inauguré, par le biais de recherches contractuelles, ce type de travaux afin qu'un maximum de chercheurs participent, chacun selon sa spécialité, à l'élaboration de ce projet de grande ampleur.
Quels domaines couvrent les lexiques amazighes existant aujourd'hui ?
L'exhaustivité sur le plan lexical est un idéal : d'abord parce que personne ne peut prétendre connaître parfaitement tous les mots d'une langue; ensuite le choix des entrées qui feront partie de la nomenclature d'un dictionnaire est tributaire des critères de sélection du lexicographe; enfin, le lexique, plus que les autres dimensions de la langue (morphologie et syntaxe), est sensible aux changements socioculturels : des mots nouveaux apparaissent, d'autres tombent dans l'oubli, deviennent désuets et pour finir disparaissent.
Dans ces conditions, il est difficile de dresser une liste de tous les mots qui devraient figurer dans un dictionnaire. On peut néanmoins affirmer qu'il est des «domaines» que la lexicographie amazighe a partiellement couverts : les dictionnaires dont nous disposons à ce jour sont représentatifs de la langue en usage dans les régions qui ont fait l'objet d'investigation.
Ainsi, les lexicographes ont non seulement procédé au dépouillement de glossaires, lexiques, corpus de textes littéraires existants mais ont complété et la nomenclature et l'information prodiguée à partir d'une enquête lexicologique (enquête de terrain). On peut donc estimer que la langue courante, telle qu'elle est utilisée au quotidien dans les dialectes ou parlers décrits, est représentée dans les dictionnaires. Cependant, tous les autres secteurs d'activités et en particulier ceux relatifs à la vie moderne n'ont fait l'objet que de quelques publications.
On peut citer les lexiques spécialisés suivants : Amawal (lexique) (1980) qui ouvre la voie à la création néologique et qui est devenu l'ouvrage incontournable pour qui s'intéresse à la néologie en langue amazighe, Lexique de Mathématiques (1984), Vocabulaire de l'éducation de Belaid (1993), Lexique de l'informatique de Saad-Buzefran (1996), Lexique scolaire de Larab (1997, Tilmatin et al. (1998 : ces derniers intègrent dans le lexique de la tarifite nombre de néologismes issus de l'Amawal et de Belaid). Ces lexiques spécialisés se présentent sous forme de listes bi- voire plurilingues où l'on fait correspondre le terme amazighe à sa traduction dans une (ou plusieurs) langues.
Quelle importance accordez-vous aux enquêtes lexicologiques de terrain?
Les enquêtes lexicologiques de terrain sont primordiales. Tous les mots en usage devraient être recensés et tous les sens relevés. Elles permettent de mettre à jour les particularités qui résultent d'un besoin de nommer des entités qui n'existent pas de façon naturelle dans une région : la langue est à ce titre le reflet du milieu dans lequel l'individu évolue (faune, flore, activités spécifiques, géographie). Les enquêtes de terrain permettent d'aboutir à une description pré-dictionnairique de l'ensemble des mots de la langue; de même que ce type de recherche doit permettre de mettre en évidence les formes prisées par les locuteurs, d'établir la liste des mots qui devraient apparaître dans un dictionnaire général de l'amazighe, de justifier les marques d'usage qui leur seraient assignées dans un tel ouvrage.
Une description globale de la langue doit prendre en considération le stock lexical en usage; en d'autres termes, faire le relevé de «l'existant» afin de constituer des bases de données exploitables à différents niveaux d'analyse.
Comment procède-t-on pour gérer la variation lexicale ?
La variation est, pour reprendre l'expression du sociolinguiste Labov (1978) «inhérente» à la langue : sur le plan lexical, elle peut être géographique (pays, région,), sociale (niveau d'instruction, milieu social où évolue l'individu), liée à la situation d'utilisation (domaine formel/informel), au mode de communication (oral/écrit) ou à la génération (parents/enfants). Cet aspect de la langue ne peut donc être ignoré ; il faut, au contraire, le prendre en considération et l'intégrer dans le processus de l'aménagement linguistique. Cette gestion de la variation fera partie de la compétence sociolinguistique du locuteur qui maîtrisera plusieurs registres de langue.
Concrètement, nommer, par exemple, différemment une même entité par le biais de la synonymie fera partie de la maîtrise de la langue. Ainsi, on entend de plus en plus les amazighophones utiliser tour à tour les trois variantes régionales afin de dire «bon»(icnan, ighudan, ifulkin) à l'occasion de la nouvelle année par exemple et ce, généralement, en fonction de l'interlocuteur.
On peut également employer dans une situation de contact linguistique un terme moins marqué et partagé par toute la communauté linguistique amazighophone comme c'est le cas pour le mot ixf «tête». Les particularismes régionaux, qui se déclinent en autant de synonymes qu'il y a de parlers, peuvent être réservés à des situations de communications particulières ; par exemple une situation orale informelle ou pour créer un effet de style. D'autres procédés peuvent être exploités pour intégrer la variation dans le processus de standardisation telle l'affectation d'une nuance de sens à des termes concurrents (redistribution du sens).
Peut-on parler d'un lexique amazighe standard ?
Il est encore trop tôt pour parler d'un «lexique amazighe standard» (j'ajouterais «marocain» car opérationnellement parlant, on ne peut l'envisager qu'à un niveau national) : il faut des générations pour cela. Le fait d'avoir doter la langue amazighe d'un système graphique qui neutralise à l'écrit les variations phonétiques régionales est déjà en soi un premier pas, et non des moindres, vers la standardisation. De même que nous pouvons qualifier tous les mots nouvellement créés de "lexique standard" puisqu'ils constituent un stock lexical que tous les amazighophones ont ou auront en partage.
Un amazighe de «référence» tel qu'il sera décrit dans les dictionnaires à venir émergera. Mais à ce jour, ce standard n'existe pas encore : il est en construction. En revanche, un fonds lexical commun existe; il concerne les unités lexicales pour nommer les phénomènes climatiques, les parties du corps, certaines activités vitales (manger, dormir, …). Nous pouvons désormais même y ajouter, comme nous venons de le dire, certains néologismes consacrés par l'usage tels que azul [azul] «salut», tanmmirt [tanmmirt] «merci», tifawin [tifawin] «bonjour», tinmlt [tinmlt] «école» qui sont actualisés dans le manuel scolaire tifawin a tamazight [tifawin a tamazight] et qu'il nous a été donné d'entendre un peu partout au Maroc.
Comment appréciez-vous les besoins lexicaux de l'amazighe en matière d'adaptation de cette langue aux mutations socioculturelles ?
Les besoins sont énormes : l'extension des domaines d'emploi de la langue amazighe (enseignement, médias, presse) s'est du même coup accompagnée d'une augmentation des besoins énonciatifs. L'Unité d'Etude et de Recherche sur le lexique du CAL doit quotidiennement faire face à des demandes qui émanent aussi bien d'institutions publiques que privées.
Toutes les disciplines scientifiques, tous les secteurs d'activités sont concernés : administration, médias, santé, commerce. Les besoins terminologiques vont du mot «table» au mot «neurolinguistique» en passant par «équité», «perspective», «logistique», «anthropologie», … Ces mots ont fait l'objet d'une étude au sein de l'équipe et des propositions ont été faites. La langue amazighe, comme toutes les langues, est dotée d'un système qui lui permet d'étendre son lexique à toutes les sphères d'activités.
Seulement les besoins sont pressants, voire urgents et innombrables. Il faut donc hiérarchiser les besoins et répondre en fonction des priorités. A l'heure actuelle, l'attention est portée sur le lexique de l'éducation dans la mesure où la langue amazighe a, depuis septembre 2003, fait son entrée dans le système éducatif national. Il faut donc doter les enseignants d'outils leur permettant de mener à bien leur mission pédagogique. Prochainement une liste des termes qui ont été étudiés au sein du CAL devrait sortir sur le marché.
Peut-on réduire l'enrichissement de l'amazighe en opération technique ?
Si tel était le cas, le travail lié à l'enrichissement du lexique serait aisé. En fait, les choses ne sont pas aussi simples qu'il y paraît. Tout d'abord il faut garder à l'esprit (permettez-moi d'insister sur ce point) que la production de nouveaux termes (ou néologie) est le dernier recours : c'est-à-dire après s'être assuré qu'il y a réellement une vacance terminologique; de plus, avant de passer à la génération de mots nouveaux, on peut réactualiser un terme désuet ou affecter un sens particulier à un mot en usage (élargissement sémantique).
L'expansion lexicale, lorsqu'elle s'impose donc, fait partie de l'aménagement linguistique puisqu'il s'agit d'une intervention consciente et délibérée sur la langue. Le système linguistique amazighe met à la disposition du locuteur les procédés de dérivation et de composition afin d'enrichir le lexique. La dérivation constitue en amazighe le moyen le plus productif car il permet la création de néologismes conformes à la logique de la langue et de surcroît facilement décryptables.
Il n'en reste pas moins que la bonne formation d'une lexie n'est pas un gage de succès. Il existe quantités de mots consacrés par l'usage bien que ceux-ci ne respectent pas les règles de construction. L'implantation des néologismes doit se faire graduellement (étalée sur le temps) et modérément surtout : l'injection massive de néologismes risque de perturber le décodage du message transmis. Enfin, il faudrait également veiller à ne pas créer un «néo-amazighe» morphologiquement correct mais déconnecté de l'usage qui parfois est à l'emprunt comme les mots atrifu «téléphone» ou taçallit «prière» qui sont parfaitement intégrés dans la langue.
Quel impact pourrait avoir la production artistique et littéraire sur l'évolution de la langue amazighe ?
La production artistique et littéraire joue un rôle de premier plan dans l'implantation et la validation des produits réalisés par les aménageurs de la langue. Les auteurs, producteurs, interprètes cautionnent (ou rejettent) les choix opérés lorsqu'ils s'approprient (ou non) les mots qu'on met à leur disposition pour s'exprimer. Leur contribution en tant que vecteur de diffusion est indéniable : ils garantissent la pérennité de la langue.
Votre dernier mot.
L'aménagement de la langue amazighe bénéficie de l'apport des chercheurs nationaux et étrangers ainsi que de l'expérience d'autres langues dans le monde. Ces acquis nous permettent de considérer l'avenir avec confiance. En matière de lexicographie et de terminologie, la collaboration de chercheurs et de spécialistes dans tous les domaines est incontournable. Le dictionnaire de langue est le dépositaire de la culture qu'il décrit dans toutes ses dimensions. Lorsque l'on désire s'approprier une langue, l'achat d'un dictionnaire s'impose.
Celui-ci nous accompagne des années durant, parfois même toute la vie. Le plus souvent, on s'y réfère pour préciser le sens d'un mot ou pour vérifier son orthographe.
Cet un outil indispensable qui procure un certain sentiment de sécurité (ici linguistique) car on ne doute habituellement pas de la fiabilité d'un tel ouvrage.
La confection d'un dictionnaire est une tâche non seulement ardue mais qui demande beaucoup de patience. Généralement il est le fruit d'un travail individuel. J'aimerais ici rendre hommage à tous les lexicographes, qu'ils soient d'ici ou d'ailleurs.
Propos recueillis par M. Moukhlis | LE MATIN
[ Edité par idir le 12/2/2005 13:45 ]
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